C’est vrai que c’est une question qui me trotte depuis un moment :
C’est quoi être Français ?
Je suis né Français sans même m’en rendre compte, et j’ai grandi avec la certitude d’être français sans même me demander comment je l’étais. C’était une évidence qui ne me demandait aucun effort intellectuel au fond.
Puis j’ai rencontré la notion d’origine, qui avec le temps a pris de plus en plus de place dans le discours des personnes que je croisais sur ma route.
Et toi, tu es de quelle origine ?
C’est une question que l’on me posait, et que je posais régulièrement à mes nouvelles connaissances. Comme si cela avait une importance primordiale dans la considération que j’avais des autres.
J’étais donc un peu Italien, un peu Grec, un chouïa de Breton, un soupçon d’Autrichien, une grosse dose de Corse, bref, j’étais de partout.
Puis j’étais aussi un gars du sud de la France, un type de la PACA (oui je suis encore à dire PACA).
Cela rassurait les autres de savoir qu’il pouvait me raccorder à une origine, soit commune, soit différente.
J’étais mon origine en fonction des besoins de mon interlocuteur.
Et puis j’ai aussi découvert les sous-ensembles, les groupes d’affinités et d’appartenances.
J’aimais l’ambiance des boites de nuits Gays. Question de lieu, de musique, de sympathie, cela ne s’explique pas au fond. J’étais donc Gay-Friendly. Et puis j’écrivais des pièces de théâtre, je possédais ma troupe, mon cours d’art dramatique. J’étais alors, aussi, un intermittent du spectacle, un auteur, un enseignant.
Et j’avais aussi un peu d’embonpoint (la bière, les bons petits plats, bref j’étais un peu Franchouille de la fourchette), et j’étais plutôt quelqu’un de sympathique, de jovial. J’étais aussi le gros marrant.
La liste pourrait être encore longue, car j’appartenais à tant et tant de sous-ensembles en fonction du jugement des autres que je ne pouvais pas les lister.
Et au fond je m’en foutais un peu.
Mais aucune personne dans mon entourage ne me disait simplement : Tu es Français, et le reste, moi je ne sais pas.
Il fallait absolument être d’un groupe, d’une origine pour exister au milieu de mes, pourtant, compatriotes. Cela avait de l’importance à leurs yeux, et emporté (non pas par la foule) dans l’élan, j’y attachais finalement, moi aussi de l’importance.
« Nous sommes tous des enfants d’immigrés »
Cette phrase résonne encore dans ma tête. C’est là que j’ai, je pense, compris que cela avait de plus en plus d’importance pour tous. Plutôt que de prendre le parti de se dire, nous sommes tous des « Français », il fallait que nous rappelions, comme une litanie délictueuse, que nous sommes des immigrés en attentes de nos origines.
Mes enfants seront donc des enfants d’un enfant d’immigré ? Cela sera donc sans fin ?
Ne serais-je jamais Français sans aucune autre forme de considération ?
Over my eyes.
C’est lorsque j’ai eu la chance de voir des pays étrangers que j’ai enfin pris toute la mesure de ma « Francité ».
On me disait que les Français étaient râleurs, bougons, désorganisés, indisciplinés. On me renvoyait toujours à la Révolution française, comme si notre identité était liée à notre capacité à ne jamais être content. Je passe la baguette et le béret qui nous collent au bask’ depuis si longtemps qu’on ne s’en rend même plus compte. Et quoi que je dise, quoi que je fasse dans ces pays-là, on justifiait chacun de mes propos par un laconique « oui, mais c’est parce que tu es Français ».
Eux avaient une meilleure idée, de ce que nous étions à priori.
C’était un peu reposant quand j’y repense. J’étais, non plus relayé aux origines de mes lointains ancêtres personnels, mais à mon origine géographique de fait. J’aimais accentuer ces traits que l’on me prêtait. Je devenais le français parfait. Le gars qui aime la bonne cuisine, le vin, les fromages, et râler dès que possible.
C’était assez simple, car cela me correspondait bien. J’étais enfin Français, mais loin de la France.
Il était une foiiiiiiiis, toi et moiiiiii
Comment ne pas penser à la chanson de Polnareff ?
Depuis que je suis loin de toi
Je suis comme loin de moi
Et je pense à toi tout bas
[…]
La différence
C’est ce silence parfois au fond de moi.
Terrible aveu d’amour pour un pays que l’on quitte sans trop savoir pourquoi.
La France, cette femme que l’on aime et que l’on quitte pourtant, parfois, tout en pleurant son absence. Ce qui fait que l’on fait mentir le dicton politique « La France on l’aime ou on la quitte » et bien parfois on peut faire les deux.
C’est avec le cœur serré que l’on reprend le chemin de la maison, pétrie de la certitude que l’on sait enfin qui l’on est et ce que l’on est. France mon pays me revoilà.
Et c’est avec cette même force que l’on découvre que si nous avons changé, cela ne change pas le regard des autres. J’étais devenu en plus le type qui revient d’un lointain ailleurs. Retour case départ, et sans toucher les 20 000 francs (oui j’ai joué en Francs au Monopoly).
ADN et charcuterie.
C’est en me baladant sur le web francophone que j’ai découvert cela. De plus en plus de gens faisaient un test ADN pour découvrir leurs origines ethniques.
Au-delà du côté légal (oui c’est interdit en France), des inconnus, mais aussi des stars, des célébrités, faisaient la promotion des différentes sociétés qui proposaient cela.
Il fallait désormais être sûr de nos origines pour mieux correspondre à nos interlocuteurs. Mieux, il fallait devenir fier de cela. Il fallait se regrouper en minorités, majorités, pour faire valoir sa position de groupes opprimés, ou discriminés, ou même non encore reconnus aux yeux de tous. Nous existions par nos différences, et non plus par notre commun. Nous prenions le pli de ne plus nous attacher à ce qui nous rassemble largement. Cela m’a offert une discussion lunaire d’ailleurs. Un jour dans un train je surpris une discussion entre deux inconnues assises juste devant moi.
- Et toi tu es de quelle origine ?
- Ben je suis de Rennes.
- Oui OK, mais tu es quoi exactement ? Tu es de quel pays ?
- Ben je suis de France et j’habite à Rennes.
- Mais tes parents ils sont quoi ?
- Ben ils sont de rennes, enfin, ma mère elle vient de Nantes.
- Et tes grands-parents ils viennent d’où ?
- Ben je sais pas trop. Du côté de ma mère ils sont Nantais, et du côté de mon père, j’en sais rien, car il était de l’assistance publique.
- Haaa, ben voilà. À tous les coups, tu es Espagnole ou Italienne et tu le sais pas.
- Ha bon, tu crois ?
- Ben oui, tu es super brune pour une meuf de Nantes. En Plus tu aimes bien la charcuterie, c’est clair que tu dois être latine. (Un temps se passe dans le plus grand silence, puis…) Meuf ça me fait trop plaisir que tu sois peut être espagnole. Ça nous fait un point commun. Viens, on te commande un kit ADN, comme ça on est sûr.
Comme quoi ADN et charcuterie expliquent souvent tout… Non ?
Je suis…
Le temps a passé, et les choses n’ont pas beaucoup bougé. Je suis Français, j’ai ma carte qui le prouve, je suis électeur, et je vois toujours autant de personnes qui cherchent à revendiquer des origines de plus en plus lointaines, voire à découvrir via ces kits ADN des origines encore plus lointaines. Comme si L’ADN pouvait tout expliquer.
Si je suis comme ça, c’est cause de ma part Russe dans mon ADN.
Ou
si j’ai un côté têtu, c’est mon sang ibère qui doit parler.
L’ADN érigé en nouvel horoscope.
Ce matin les Italiens à plus de 50 % auront une journée chargée. Attention niveau cœur, vous risquez de rencontrer l’amour en la personne d’une origine des Balkans.
Originaires des pays anglo-saxons, à plus de 80 %, attention, vous aurez des problèmes avec les administrations.
Tu cherches, tu cherches, tu trouves.
Comment ne pas céder à cette sirène ? Peut-être que le nombre fait la raison. Le lien fait le lieu disait Michel Maffesoli, donc peut être qu’en cherchant mes lointaines origines, je saurais enfin ce que veut dire être Français. Je me suis donc commandé ma recherche de lien à moi.
Un kit, des cotons-tiges à mettre dans un sachet après avoir frotté l’intérieur de sa bouche. Une enveloppe pour un laboratoire texan (oui, car interdit en Europe) et 6 semaines plus tard je recevais un joli mail avec un graphique m’expliquant d’où mon sang provenait en termes de pourcentage.
Bon, les résultats sont ce qu’ils sont. Et je ne me sens toujours pas mieux. J’ai des origines claires, avec des pourcentages, et pourtant, je n’ai pas le cœur de me dire plus cela que ceci. Suis-je bien Français docteur ? Je n’aime pas mettre mes origines en avant, suis-je normal ?
C’est dans la merde qu’on reconnaît les gens.
Et là, me voilà devant mon écran à taper cela. Malgré les demandes répétées et incessantes des médecins, des médias, des politiques, les bords du canal Saint-Martin sont encore pleins en ce dimanche 15 mars, en après-midi. Les Français ont continué à faire la fête hier soir, à sortir, à même tenter de se rassembler alors que c’est clairement déconseillé.
Les origines de tous se sont pour une seule fois, effacées. Il n’y avait plus de genres, de liens avec des ancêtres, de possibilités d’être sa revendication, non, pour une fois, une seule, les Français ont tous été Français.
En refusant la consigne, en bravant les interdits, et les conseils. En se pensant au-dessus de tout et de tous, ces Français-là ont parfaitement collé aux idées que l’on se fait de la France depuis l’extérieur de nos frontières. Et les autres, ceux qui sont restés chez eux tout en pestant contre ceux qui ont bravé les ordres. Ces autres-là, ils sont l’exemple du Français parfait. Prêt à râler sur son voisin, lui rappelant sa faute dès la première occasion.
Je vais tenter une comparaison houleuse.
Sartre disait que l’on n’avait jamais été aussi libre que sous l’occupation.
C’est là que l’on a vu les Français à l’œuvre.
Les Collabos, les résistants, les silencieux, les peureux, les mécontents, les râleurs, les BOF, les profiteurs, ceux qui traversaient Paris avec des jambons en cachette, ceux qui malgré des origines lointaines prenaient le maquis, ou rejoignaient les groupes de l’ombre, ceux qui oubliaient d’où ils venaient pour être là où il était.
Bref, la diversité des Français a fait cette France au prix de privations et de douleurs.
C’est donc dans ce contexte aussi complexe qu’inattendu, que le poste zéro vous propose une émission spéciale c’est quoi être Français ?
On est allé dans la rue vous demander ce que cela pouvait signifier pour vous (enregistré pré confinement. On n’est pas dingue non plus)
Puis nous aurons la chance d’avoir les avis de Michel Maffesoli, Sociologue et professeur émérite à l’université Paris Descartes.
Nous irons aussi interroger Immamette, une militante féministe, laïque et républicaine qui vit en France.
Nous aurons aussi l’avis de Elliot Savy, un jeune étudiant à Lyon 2 qui nous parlera de sa vision du sujet.
Retrouvez le poste zéro en direct vendredi 20 mars à 20H sur l’antenne de RadioDelta : ici
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